Jour 100 - 80% de sites accessibles d'ici 2022 ?

Analyse de l’annonce de Cédric O, secrétaire d’État chargé du Numérique, fixant un objectif de 80% de sites accessibles d’ici 2022.

Ce que j’ai fait :

Rappel

Cédric O, lors de la Conférence Nationale du Handicap du 11 février 2020, a tenu les propos suivants :

13% de sites, ça fait très très peu sur les 250 démarches réalisées par les Français. Très très peu surtout que cette obligation existe depuis longtemps. Je pense qu’il faut que nous nous mettions des objectifs extrêmement ambitieux. Moi je pense qu’il faut que nous nous fixions ensemble la volonté d’avoir plus de 80% de nos sites qui d’ici 2022 sont accessibles aux personnes en situation de handicap selon les critères que nous nous sommes fixés. Passer de 13% à 80% en deux ans, c’est assez ambitieux. […] Evidemment, l’objectif c’est 100%, mais comme on est à 13%, d’ici 2022 on se met déjà à 80% et ensuite je pense qu’il faut qu’on arrive très vite à 100%.

Note : Vous pouvez visualiser l’intégralité de la conférence en vidéo(lien externe). L’intervention de Cédric O est à 1h 36min 15s.

Il est important, avant de commencer, de faire un point sur les termes employés. Durant son intervention, Cédric O parle à la fois de “sites” et de “démarches accessibles”. Il s’agit bien de démarches accessibles, parmi les 250 démarches administratives en ligne les plus utilisées par les Français, et non pas des sites publics accessibles. Ces démarches administratives ont été recensées par l’Observatoire de la qualité des démarches en ligne(lien externe) et sont évoquées au début de l’intervention de Cédric O (à 1h 33min 55s), ainsi que dans le communiqué L’accessibilité numérique : levier stratégique d’amélioration des services publics numériques pour tous(lien externe) de la Direction Inter-Ministérielle du Numérique (DINUM).

D’autre part, comme je l’ai signalé dans mon précédent article Jour 98 - Promouvoir l’accessibilité par les bénéfices induits (partie 2), la directive européenne de 2016 exige la mise en accessibilité de tous les sites web publics au plus tard le 23 septembre 2020 (les sites publics créés après le 23 septembre 2018 devaient être accessibles au plus tard le 23 septembre 2019). L’objectif annoncé de 80% est donc bien en dessous des obligations légales.

L’analyse des démarches administratives en ligne

Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’était engagé à mettre en place un “Etat 100% numérique”. Cette promesse de campagne prévoyait la dématérialisation intégrale des démarches administratives(lien externe) d’ici 2022.

Dans cette optique, l’Observatoire de la qualité des démarches en ligne a été instauré en juin 2019. Cet Observatoire a recensé les 250 démarches administratives en ligne les plus utilisées par les Françaises et les Français, et suit l’avancement et la qualité de leur numérisation.

Le terme “démarches administratives” fait référence à des actes spécifiques, réalisés isolément sur certains sites. Par exemple :

  • signaler un changement d’adresse sur le site Ameli

  • déclarer la cession d’un véhicule sur le site “Immatriculation” de l’Agence Nationale des Titres Sécurisés

  • obtenir son âge de départ à la retraite sur le site de l’Assurance retraite

Il ne s’agit donc pas de 250 sites à part entière, mais bien de 250 démarches réalisées sur différents sites. Dans le tableau de bord des démarches phares de l’État disponible sur data.gouv(lien externe), j’ai comptabilisé 93 noms de domaines pour les 245 démarches listées, ce qui correspond à priori au nombre de sites différents évalués par l’Observatoire.

Plusieurs démarches peuvent émaner d’un seul et même site. Par exemple, sur le site de la Caisse des Allocations Familiales (CAF) :

  • Déclaration trimestrielle RSA

  • Demande de prime d’activité

  • Demande d’allocation logement

Chaque démarche administrative est ensuite évaluée à l’aide d’indicateurs permettant de suivre l’avancée de la dématérialisation et l’expérience des usagères et usagers. Parmi les indicateurs on trouve ainsi :

  • réalisable en ligne : oui/non

  • usagers satisfaits : en pourcentage

  • compatible mobile : oui/non

  • support accessible : partiel/oui/non

  • disponibilité et rapidité : une note sur 10

  • intégration de FranceConnect : oui/non

  • prise en compte handicaps : oui/non/partiel

  • “dites-le nous une fois” : il s’agit d’un indicateur d’effort pour les usagers. Il permet d’estimer l’effort de ressaisie de données que l’administration pourrait ne plus demander aux usagers en allant chercher elle-même ces informations.

Des explications supplémentaires pour chaque critère peuvent être trouvées sur la page En savoir plus sur nos critères d’évaluation(lien externe).

La prise en compte de l’accessibilité des démarches administratives

Jusqu’à très récemment, l’accessibilité n’était pas inclue dans les critères d’évaluation. Ce n’est le cas que depuis la 3e édition de l’Observatoire, soit Janvier 2020 (on peut donc dire que c’est très récent).

Pour valider ce critère d’accessibilité, deux sous-critères sont pris en compte :

  1. Présence ou non sur le site d’une déclaration d’accessibilité valide

  2. Taux de conformité supérieur à 75% atteint dans la déclaration d’accessibilité

L’Observatoire précise que :

  • si les deux sous-critères sont respectés, la démarche est conforme

  • si seul le premier sous-critère est respecté, la démarche est partiellement conforme

  • si aucun des deux sous-critères n’est respecté, la démarche n’est pas conforme

Je n’ai pas pu réaliser moi-même une évaluation à transmettre à l’Observatoire de la qualité des démarches en ligne, cependant j’imagine que la notation du critère “prise en compte handicaps” doit être complétée par l’Observatoire lui-même et non pas les utilisateurs et utilisatrices, guère familiers et familières des notions de “déclaration d’accessibilité” ou “taux de conformité”.

Il est intéressant de noter que, bien qu’il s’agisse d’évaluation de démarches isolées, le critère “prise en compte handicaps” s’applique pourtant à l’ensemble du site sur lequel est effectuée la démarche (puisque la déclaration d’accessibilité et le taux de conformité concernent l’ensemble du site ou en tout cas les différentes pages échantillonnées).

Un taux de conformité à 75%

Pour rappel, l’audit de conformité permet de mesurer le respect des règles d’accessibilité par rapport à un référentiel donné (en l’occurence le Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité - RGAA), sur un échantillon de pages, à un instant T. Le taux de conformité correspond au pourcentage de critères respectés, c’est-à-dire conformes. Ce taux de conformité est publié dans la déclaration d’accessibilité, qui doit désormais être présente sur chacun des sites publics, sous peine de sanctions judiciaires.

De fait, sur les 23 démarches accessibles que j’ai comptabilisés, leurs sites correspondants possédaient bien une déclaration d’accessibilité détaillant des résultats d’audits réalisés par différentes sociétés.

On peut s’interroger sur le choix de ce chiffre de 75%. Certes un taux de 100% n’est pas synonyme d’un site 100% accessible : un tel site n’existe pas compte tenu de la variété des usages et des situations de handicaps. Toutefois, pourquoi viser 75% et pas le maximum possible ? Pourquoi laisser de côté 25% de critères susceptibles de poser des problèmes d’accessibilité ?

Si l’on veut à tout prix fixer un seuil qui n’est pas 100%, peut-être serait-il judicieux de prioriser les critères, en fonction de leur niveau A ou AA par exemple, pour s’assurer à minima que les critères les plus importants sont respectés. Imaginons que l’un des critères non respectés concernent la connexion à un site, l’internaute se sera donc jamais en mesure d’y accéder.

Analyse des données liées à l’accessibilité

J’ai réalisé moi-même plusieurs calculs depuis les données de l’Observatoire. A ce jour, 17 février 2020, 245 démarches administratives sont recensées sur le site, et non pas 250. Parmi ces 245 démarches, en réalité seules 180 sont dématérialisées. Sont considérées dématérialisées les démarches entièrement dématérialisées, partiellement dématérialisées et en version bêta.

Concernant le critère “prise en compte handicaps”, pour les 180 démarches dématérialisées, la répartition est la suivante :

  • 16 démarches n/a, signifie “ne s’applique pas” : soit 8,89%

  • 134 démarches non conformes, donc aucun sous-critère respecté : soit 74,44%

  • 7 démarches partiellement conformes, donc seul le premier sous-critère est respecté, c’est-à-dire qu’une déclaration d’accessibilité est présente : soit 3,89%

  • 23 démarches conformes, donc les deux sous-critères sont respectés : soit 12,78%

23 démarches conformes sur 180 équivaut à un pourcentage de 12,78%, ce qui correspond au chiffre arrondi de 13% annoncé par Cédric O. Il s’agit en revanche de 13% de démarches accessibles, non pas sur 250, mais sur 180.

Les 23 démarches conformes correspondent à 8 sites différents :

Sur les 93 sites présents dans l’Observatoire, seuls 8 d’entre eux sont donc considérés accessibles (du point de vue légal en tout cas), soit un pourcentage de 8,6%.

Conclusion

  • on parle bien de 13% de démarches accessibles parmi les 180 démarches dématérialisées recensées par l’Observatoire de la qualité des démarches en ligne, et non pas 250 (il n’y en a d’ailleurs en tout que 245 sur le site de l’Observatoire)

  • ces 13% de démarches sont réalisées sur 8 sites différents, ce qui nous donne 8 sites sur 93 possédant une déclaration d’accessibilité et un taux de conformité supérieur à 75%

  • l’évaluation d’accessibilité d’une démarche porte sur l’intégralité du site dont elle provient puisque les critères d’évaluation concernent la présence d’une déclaration d’accessibilité et un taux de conformité pour l’ensemble du site

  • à priori, les utilisateurs et utilisatrices ne participent pas à l’évaluation d’accessibilité d’une démarche sur le site de l’Observatoire (si quelqu’un arrive à donner son avis sur une démarche, qu’il ou elle n’hésite pas à me faire signe)

  • l’objectif annoncé de Cédric O correspond à 80% des démarches administratives dématérialisées les plus utilisées, avec un taux de conformité au RGAA de 75% (au minimum)

On est donc bien loin de l’effet d’annonce de “80% de sites accessibles”. Cédric O lui-même s’emmêle les pinceaux entre “sites” et “démarches”, et le site de l’Observatoire lui-même brouille les pistes en analysant des démarches isolées mais pour lesquelles c’est toute l’accessibilité des sites correspondants qui est évaluée.

Entre toutes ces incertitudes et tâtonnements, la seule chose certaine c’est le manque d’ambition et d’exemplarité de l’État. Dans ces conditions, il est difficile d’espérer intégrer l’accessibilité comme une démarche naturelle et normale pour l’ensemble des sites web français. Et pour cause, comme le dit lui-même Cédric O :

Je crois que ce qui est en jeu à travers l’accessibilité numérique, ce n’est pas l’accessibilité du numérique mais l’accessibilité du service public. C’est une question du service public.

A bon entendeur…